
Moi, le roller, j’y pige que dalle.
“Quand on était ados, mon vieil ami, appelons R. pour conserver son anonymat, s’est mis au Roller.
Moi, comme je suis une mega flippette, j’l’ai pas fait, mais du coup j’ai un peu eu des flashs de cet univers en parallèle.
C’était le tout début des années 2000, et j’me souviens qu’il se passait en boucle des VHS ricaines de Arlo Eisenberg qui roulait pour Mindgame (veuillez m’excuser si c’est pas ça, j’ai fait le choix de ne pas faire de recherches pour rester authentique et ne pas m’inventer une culture que je n’ai pas), pour trouver à la télécommande sa part favorite, genre le moment où le keum se balance du haut du toit d’une école pour atterrir sur un rail, un curb ou ce genre de trucs et le voir et l’entendre vibrer profondément.
Note de l’éditeur : Arlo est une légende, mais on parle ici de la plus grande des légendes, Mr Aaron Feinberg
Moi j’étais à côté, et ça me faisait un peu chier, j’aurais préféré qu’on se mette sur la gueule à Tekken 2 (enfin avec le recul, j’me faisais éclater la gueule 99% du temps, même si j’connaissais un ou deux « 10 hits combo » de Marshall Law que je n’arrivais,de toute façon qu’à sortir à l’entraînement).
Et donc mon ami R, avait toute une bande de potes qui faisaient aussi un max de patin à roulettes. Dedans y’avait C, et à trois on était « Les Hanson de Saint-André/Marquette ». Bref, toute cette team de roulettistes, moi j’les connaissais pas, mais j’ai le souvenir qu’il s’en dégageait une vibe assez folle et indescriptible.
Les années ont passé (car, rappellons-le : « Le temps passe et passe et beaucoup de choses ont changé…tralalala Si bémooooool…. !!! »), on habite tous les 3 à des endroits différents, voire même dans des pays différents, mais de ce que j’en sais, un très grand nombre de choix effectués par C et R,chacun de leur côté, ont été réalisés en impliquant très fortement la présence du patin à roulettes dans leurs vies respectives.
R a à son actif un petit palmarès de destruction de l’épaule et a du subir plusieurs opérations à cause de ça, mais est remonté sur des patins à chaque fois qu’il a pu, quand ses périodes de convalescences sont arrivées à terme (et des fois avant).
C fait partie d’un crew qui continue régulièrement de produire des vidéos faites maison, comme celles qu’ils mataient jusqu’à en flinguer la bande magnétique. Et ces vidéos, j’les dévore dès qu’elles sortent.
Techniquement j’y pige que dalle, je suis incapable de distinguer un top-soul d’un Mizou(« calé en fakie, bro ! », mais à chaque fois je suis touché. Je suis ému par l’envie et le besoin de ces gars de faire tout ça. J’ai l’impression qu’ils sont trentenaires pour la majorité, donc à l’âge où les gueules de bois commencent à devenir un peu plus physiques chaque jour et auquel on peut s’entendre dire « Ah putain, mais j’ai trop mal au dos alors que j’ai rien branlé depuis 3 jours… » et surtout à l’âge où « bon allez, c’est fini les conneries d’ado, il est temps de devenir responsable ».
Mais j’ai l’impression que tout ça leur passe au dessus, enfin plutôt en dessous, étant donné qu’ils sont dans les airs la plupart du temps.
Tout ça c’est totalement inutile comme activité, ça change rien de concret à la société, ils deviendront pas riches et célèbres en faisant ça, ils s’assureront pas une retraite et ça va pas les aider à contracter un prêt pour acheter un petit pavillon en banlieue. Mais ils s’en foutent clairement. Ce qui compte c’est ce micro-instant durant lequel la tension des cuisses et des mollets fait un effet de ressort et permet d’amorcer l’envol. Les roues quittent le bitume, les tignasses sont happées par le vent et les vestes en cuir s’ouvrent pour flotter comme sur le mât d’un pavillon noir. C’est durant les quelques secondes de l’élan que tout se joue,ce moment où il faut faire taire les neurones pour les empêcher de les ramener à la raison. Parce que « putain, mec…Je termine pas la session si j’ai pas calé un truc propre entre cette poubelle et ce banc, y’a putain de pas moyen ».
Ce fameux banc, sur lequel les quidams s’asseoient. C’est pas super excitant de s’asseoir sur un banc, suffit de plier un peu les jambes et d’attendre que son cul touche la planche, avec un minimum d’entraînement c’est assez simple d’obtenir un 100% de réussite. J’veux dire, moi-même je sais le faire, et si je me souviens pas de la phase d’apprentissage c’est que j’imagine que ça a dû relativement bien se passer. Ces gars ne voient pas la ville comme n’importe qui. Les bancs ils s’assoient dessus uniquement pour mater les potes faire n’imp’ à grande vitesse en s’hydratant parce que « Allez, c’est mon tour de braver la mort ». Cette poubelle, c’est pas vraiment une poubelle, on est bien d’accord ? Non,non… C’est un obstacle à dominer. Pourquoi se faire chier à concevoir des escaliers avec des marches, toutes de la même hauteur, alors que des rampes cylindriques c’est si fun à prendre ? C’est aussi beaucoup plus rapide, c’est le meilleur exemple d’une situation de win-win.
Ce truc, ils le font à bloc, avec tout ce qu’ils ont, et, pendant qu’ils volent, il n’y a plus que deux choses qui importent: la sensation et le style. Statistiquement, y’a quand même de très grandes chances que l’atterrissage soit chaotique et aboutisse par un combat éclair entre « Genou/main VS bitume » si on a de la chance, « Tronche VS bitume » dans le pire des cas (et même si les fringues c’est important, ils n’hésitent pas une seule seconde à scarifier leur futal favori pour alimenter la légende).
Une énorme poésie émane de tout cet esprit. J’y vois un énorme sens du romantisme:ce truc ils en ont tellement besoin qu’il va falloir qu’ils y perdent leurs 2 jambes pour qu’on les fasse arrêter. Le roller ils aiment tellement ça et en ont tellement besoin que ça les tuera un jour où l’autre, mais ils s’en turbo-branlent, la ville vient de terminer l’installation d’un nouveau pot de fleur circulaire du coup c’est l’heure d’aller en user la brique.”
Merci beaucoup à Florian, et merci encore à Buffle pour le signalement, les photos, la vidéo, et sa bogossitude générale !
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